Les muqriʾ dans le monde musulman et en Europe :
sociologies et pratiques de la récitation coranique, du XIXe siècle à nos jours
- Adrien de Jarmy and Séverine Gabry-Thienpont
- Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative – Université Paris Nanterre, Centre National de la Recherche Scientifique, Université Paris Nanterre : UMR7186, Centre National de la Recherche Scientifique
Projet d’atelier double (8 communications)
Résumé de l’atelier :
Les musulmans n’ont sans doute jamais eu un accès aussi direct et constant au Coran qu’aujourd’hui. Que ce soit à la maison, en voiture ou dans les transports en commun, par la radio, Internet ou grâce aux applications disponibles sur les téléphones portables, ils ont partout et à tout moment accès au texte, ainsi qu’aux nombreux enregistrements de récitateurs (muqriʾ), célèbres ou non, du monde islamique. Pour la période contemporaine, la recherche en islamologies’est largement concentrée sur l’histoire des commentaires (tafāsīr), et bien que l’on trouve quelques travaux concernant l’art de la récitation coranique (tilāwa), son enregistrement et sa diffusion (Nelson, 2001 ; Frishkopf, 2009 ; Lagrange, 2008), l’histoire et la sociologie des récitateurs restent largement sous-explorées. Le présent atelier aura pour objectif de décentrer le regard du texte vers les acteurs et les pratiques de la récitation publique, en explorant les dynamiques sociales, culturelles, historiques, mais aussi, technologiques qui ont façonné cette tradition du XIXe siècle à jours, dans le monde musulman comme en Europe. Cette approche soulève des enjeux que l’on peut interroger suivant deux thèmes complémentaires :
1. Parcours et trajectoires de muqriʾ
Les récitateurs du Coran, ou muqriʾ, s’imposent comme des acteurs fondamentaux de la vie sociale du monde islamique. Qui sont-ils ? Comment et pourquoi devient-on muqriʾ ? Cet atelier nous conduira à nous interroger sur les parcours et la formation de récitateurs célèbres ou non, pour comprendre les enjeux tant personnels que sociétaux générés par la condition de muqriʾ, `a différentes échelles géographiques (locale, nationale et internationale dans le monde arabe), et ce, depuis le XIXe siècle. Est-ce que les muqriʾ peuvent être considérés comme un groupe social disposant de critères particuliers `a l’époque contemporaine ? Envisager l’expérience ordinaire des muqriʾ nous permettra de confronter « le dire et l’agir » (Herrou 2018) pour saisir le rapport dialectique qu’ils entretiennent avec les textes, les dogmes et la transmission. Dans une perspective comparative et genrée, une attention particulière portera également sur les portraits de femmes muqriʾ.
2. Matérialité de la récitation et enjeux économiques
Ce deuxième thème suppose d’entrer plus finement dans l’analyse des pratiques de la récitation coranique, dans le monde musulman et en Europe, dans leurs aspects notamment matériels. En parallèle de la question des variantes déjà bien étudiée, on s’interrogera ainsi sur les spécificités locales de récitation (tajwīd), en particulier en ce qui concerne l’exécution des modes, des ornements et la gestion des timbres de voix spécifiques lors des récitations publiques (tilāwa). Mais pas uniquement : si le tajwīd existe depuis les premiers temps de l’Islam, sa pratique est désormais soumise à des processus qui relèvent de l’électrification sonore. Dans quelle mesure l’amplification et la sonorisation ont-elles un impact sur le tajwīd, sur sa sémiologie musicale et plus largement, sur les manières de réciter le Coran ? On examinera ainsi comment l’électrification de la voix, grâce à l’introduction des microphones et des systèmes de sonorisation, la diffusion de la radio et de la télévision, ainsi que l’arrivée d’Internet et des applications mobiles telles que Quran Majeed altèrent et transforment les pratiques de récitation : redéfinissent-ils le rôle des récitateurs, et quels modèles économiques en découlent ? Cette approche nous mènera sur les lieux de la récitation et d’enregistrement des lectures, `a la mosquée, mais aussi en studio d’enregistrement, ou plus récemment chez soi (home studio), grâce aux enregistrements, software et stations audio-numeriques accessibles et lies aux usages du DIY (Do-It-Yourself), qui rebattent les cartes de la diffusion. Quelle est l’incidence des évolutions technologiques contemporaines sur les pratiques de récitation coranique et plus particulièrement, sur le statut des muqriʾ ?
Bibliographie indicative
- Frishkopf, Michael, « Mediated Qur’anic Recitation and the Contestation of Islam in Contemporary Egypt », dans Nooshin, Laudan (dir.), Music and the Play of Power in the Middle East, North Africa and Central Asia, Londres, Routledge, 2009, p. 62-102.
- Herrou, Adeline (dir.), Une journée dans une vie, une vie dans une journée : des ascètes et des moines aujourd’hui, Paris, Presses Universitaires de France, 2018.
- Lagrange, Frédéric, « Reflexions sur quelques enregistrements de cantillations coraniques en Égypte (de l’ère du disque 78 tours à l’époque moderne) », Revue des traditions musicales du monde arabe et mediterraneen, vol. 2, 2008, p. 25-56.
- Nelson, Kristina, The Art of Reciting the Qur’an, Le Caire, The American University of Cairo Press, 2001.